La naissance du cinéma : Alice Guy, la pionnière du septième art

Notre série de portraits de femmes dans l'histoire du cinéma débute ici. Commençons donc par le commencement avec Alice GUY, première réalisatrice de films au monde ! Elle fut sans aucun doute une héroïne aux yeux de Lois WEBER (1879-1939), première réalisatrice américaine à faire un long métrage. Née le 1er juillet 1873 à Saint Mandé en région parisienne, Alice GUY découvre très tôt le Chilli en y rejoignant son père, éditeur, pendant deux ans. Déjà, elle rêvait d’être comédienne afin d’abolir les préjugés sexistes présents majoritairement dans les mentalités séculières de son temps. A la mort de son père, elle décide de se lancer dans la sténographie afin de trouver un travail et d’aider financièrement sa mère. De ce fait, à 21 ans, elle travaille en tant que secrétaire au comptoir général de la photographie pour le célèbre Léon GAUMONT. L. GAUMONT : Votre recommandation est excellente mademoiselle. Mais la place est importante et j’ai peur que vous soyez bien jeune ... A. GUY : Vous savez monsieur, la jeunesse, ça me passera !

Alice Guy
Alice Guy

Le 28 Décembre 1895, Alice GUY participe avec Léon GAUMONT à la première projection des frères lumières et ce dernier décide de se procurer une caméra cinématographique afin de réaliser des courts métrages à l’instar des frères pionniers du mouvement. Cependant, l’inspiration n’est pas au rendez-vous. Alors, Alice propose à Léon de la laisser réaliser quelques films.

"Tant que cela n’empiète pas sur votre fiche de paie, alors vous pouvez”.

Sur ses heures extra-professionnelles donc, Alice réalise en septembre 1896 son premier film : La fée aux choux .

Alice Guy : La fée aux choux (imdb.com)
Alice Guy : La fée aux choux (imdb.com)

Ce qui fait de Alice GUY la pionnière du cinéma mondial, c’est qu’elle est la première personne à avoir filmé des scènes avec des acteurs qui jouent la comédie. Jusque là, les frères lumières et autres rares détenteurs de caméras cinématographiques se sont limités à représenter des scènes de la vie quotidienne comme la célèbre arrivée du train à vapeur en gare de la Ciotat.

“J’entendais, du matin au soir, parler de cinéma. Mais les films qu’on projetait n’étaient que sorties d’usine, trains en marche, défilés de troupes... Il me semblait qu’on pouvait faire autre chose” - Alice GUY.

Entre 1896 et 1907, l’histoire attribue environ 600 films à Alice GUY. Sur ces 600 films, on en compte quelques-uns traitant d’un sujet très original pour les mentalités de l’époque. En effet, Alice questionne la place de la femme dans la société occidentale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ses films les plus connus à ce sujet sont : Madame a ses envies ainsi que Les résultats du féminisme.

Ce sujet de film vient à l’idée de Alice quand elle décide de réaliser majoritairement des films humoristiques, qui est un genre cinématographique très apprécié à cette époque.

Alice Guy : Affiche du film Madame a ses envies
Alice Guy : Affiche du film Madame a ses envies

Madame a ses envies est un court métrage de 4 minutes environ. Il s’agit d’une série de petits sketchs mettant en avant les envies fortes et spontanés d’une femme enceinte. Si ça peut choquer aujourd’hui, cette dernière idée était entièrement acquise dans la mentalité collective de cette époque. La femme présentée dans ce film vole une sucette à une enfant, un verre d’absinthe à un client d’un bar ou encore une pipe à un passant, et la voilà qui fume.

Cependant, il faut voir ce film avec un œil sarcastique, l’objectif de Alice GUY étant de dénoncer l’absurdité de ces idées fausses.

Alice Guy : Affiche film Les résultats du féminisme
Alice Guy : Affiche film Les résultats du féminisme

Les résultats du féminisme est un court métrage de 7 minutes environ. Toujours dans une démarche de dénoncer l’absurde par l’humour, Alice décide de faire jouer à ses actrices un rôle d’homme lambda du XXe siècle, et inversement pour les rôles des acteurs.

De ce fait, nous voyons dans ce court métrage, des femmes qui boivent, fument et se retrouvent au bar. Les hommes eux sont habillés coquettement, font le ménage et restent à la maison. Ces derniers subissent même des violences sexuelles de la part des dames. A la fin de l’histoire, les hommes se rebellent contre l’oppression féminine et chacun reprend sa place respective, place dictée par les mœurs de cette époque (et de la nôtre également).

Afin de diversifier son art, Alice GUY se met à réaliser des phonoscènes (ancêtre de nos clips actuels). Elle combine habilement la caméra cinématographique avec un phonographe afin de réaliser lesdites phonoscènes.

“Be natural” - A. GUY

Alice GUY a toujours souhaité que ses acteurs aient un jeu d’acteur le plus naturel possible. Sur les murs du plateau de tournage de la société Gaumont, on pouvait lire la célèbre inscription “Be natural”. Elle souhaitait voir beaucoup d’enfants jouer dans ses scènes car cela permettrait aux acteurs d’adopter un rôle plus naturel que joué. Elle est aussi une des premières personnes dans le monde du cinéma à avoir fait jouer des personnes de couleurs dans des rôles propres. Jusque là, il s’agissait d’acteurs blancs, maquillés en noir.

Alice Guy Be natural
Alice Guy Be natural

Dans une époque où la séparation entre l’Eglise et l’Etat est un sujet de discussion et de contestation, Alice GUY réalise en Janvier 1906 La vie du Christ. La réalisation de ce film a obligé la société GAUMONT à débloquer des budgets astronomiques pour l’époque. Ce n’est pas moins de 25 décors différents et une centaine de comédiens qui ont été nécessaires au tournage de ce film. C’est aussi la première fois où Léon Gaumont accepte de mettre le nom de Alice GUY sur une affiche de cinéma. En 1907 elle épouse Herbert Blaché, un producteur et cinéaste américain. Elle décide (par amour ou par droits conjugaux) d'arrêter ses projets en France et d’aller aux USA avec son époux. Sur place, ils fondent la Solax entre 1907 et 1910. Dans cette nouvelle boîte de production américaine, le couple produit une cinquantaine de films entre 1910 et 1916. De ce fait, Alice GUY devient également la première femme productrice de film au monde !

C’est en 1910 qu’elle sort son premier film américain The Child’s Sacrifice. Dans ces nouveaux locaux de la Solax, Alice GUY supervise si bien le tournage de ses films qu’il est très difficile de dire si, à partir de 1911, elle est réalisatrice, productrice ou encore scénariste.

Le film le plus ambitieux en terme de coût de production est sans contester Dick Whittington and his cat avec un budget avoisinant les 35 000 $

Alice Guy : Dick Whittington and his cat
Alice Guy : Dick Whittington and his cat

Dès 1914, deux événements viennent contrarier Alice Blaché : l’avènement de la première guerre mondiale, qui détruit le petit commerce de films aux USA et la création de grandes industries cinématographiques, déjà dites "Hollywoodienne".

Elle continue cependant à réaliser des films pour l’industrie Popular Plays and Players, sans rencontrer de succès aussi dignes que les précédents.

En 1918, les économies de son époux coulent dans la bourse. Le couple se retrouve désormais sans aucune ressource. Elle rentre en France en 1920 mais ne retrouve malheureusement pas le succès qu’elle a pu avoir avant de partir aux USA en 1907. Elle écrit des commentaires critiques sur des livres venant de paraître, sans retrouver pareille gloire.

C’est une fin de carrière bien triste que s’apprête à vivre Alice GUY. Elle sombre peu à peu dans l'oubli. C’est seulement à la fin des années 1950 que l’on redécouvre les œuvres de la première réalisatrice de films de l’histoire. En 1957, la cinémathèque française lui rend hommage. De plus, elle nous laisse la même année une interview, que vous pouvez retrouver sur Youtube.

Afin de faire vivre la mémoire de Alice GUY, je vous invite à regarder ses films qui sont en accès libre sur internet. Tous les films cités dans cet article sont facilement trouvables.

Le cinéma comme on l’entend aujourd’hui est donc née grâce à une femme. Il est absurde que l’on puisse s’imaginer sans se tromper que Alice GUY n’a pas connu le droit de vote, elle n’a jamais eu aucun droits en politique, mais elle a pu faire du cinéma. Elle a créé le cinéma d’aujourd’hui.

Dans le prochain épisode, nous découvrirons la vie de Lois WEBER (1879-1939), digne successeuse de notre cinéaste national.

Par CAUJOLLE Jordan

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