Racontez moi votre histoire
Vivant proche de la nature dans ma jeunesse, j’étais fascinée par les formes de vie végétales et marines, depuis les plus petits organismes vivant dans le sable, les méduses, les poissons, les fossiles, les plantes, jusqu’aux manifestations atmosphériques, la foudre, la pluie, les paysages nocturnes, les marais mélangeant terre et eau. C’est, je pense ce qui a infusé tout mon travail par la suite, cet intérêt pour les formes vivantes, leurs matières, leurs couleurs, la façon dont elles se meuvent, se développent, se reproduisent, disparaissent. Il y a aussi dans mes premiers souvenirs, la forte impression inscrite par les motifs colorés des tissus des robes des femmes.
Comment et quand avez-vous commencé votre histoire avec l'art ?
Comme tous les enfants je prenais plaisir à dessiner et ça n’a jamais cessé. Tout en poursuivant mes études et jusqu’à l’université, j’ai expérimenté, seule ou dans des cours, le dessin et la peinture, un apprentissage assez classique qui m’a donné le goût des techniques et l’envie d’expérimenter et d’approfondir par moi-même. C’était plutôt figuratif.
Puis un ensemble d’expériences très formatrices : une année à la faculté d’arts plastiques de Saint-Charles à Paris en pleine période de l’art performance, un travail dans une galerie d’art d’avant-garde qui m’a mise en contact avec des formes d’art contemporain souvent radicales et novatrices puis un départ au Mexique avec une bourse d’étude où j’ai rencontré toute une génération d’artistes engagés politiquement, expérimentant un art collectif mis au service d’un public populaire éloigné des galeries et des musées . A Mexico, j’ai moi-même participé à la création d’un groupe de 6 artistes réalisant des installations et des performances.
Que cherchez-vous à véhiculer à travers vos peintures ?
En rentrant en France mon souhait était de poursuivre ce travail autour de la performance mais n’ayant plus de contact avec le milieu artistique j’ai traversé une période assez solitaire pendant laquelle j’ai cherché à développer une expression plastique plus personnelle. J’ai tout recommencé en réfléchissant aux formes développées par les sociétés précolombiennes et primitives, des formes et des couleurs simples, tirées d’univers quotidiens ou naturels mais transcendées par les croyances et qui codifient la vie de ces sociétés. A partir de là, j’ai pris le temps de définir un système pour aborder ces formes qui me soit propre, un truc d’autodidacte en fait, peut-être un peu éloigné des problématiques de l’art contemporain du moment. Ce qui m’intéressait était ce rapport entre les formes du vivant et une certaine idée de l’abstraction en art.
Développer cette idée en remplissant des dizaines de carnets de croquis et de notes est la base de mon travail, toutes les œuvres, peintures, dessins, gravures, reliefs, « peintures-volumes », sont des tentatives pour mettre en forme ces réflexions quotidiennes et les faire évoluer. Les systèmes et les évolutions du vivant étant parfois extravagants, mystérieux ou insolites, je n’ai pas peur de contrarier les normes, d’exacerber les volumes, d’utiliser des matières proches de l’organique, parfois repoussantes ou étranges, et de mélanger les techniques de façon peut être surprenante ou avec un certain humour aussi.
Quelles sont vos sources d'inspirations ?
C’est le constant renouvellement des mes intérêts en rapport avec tel ou tel information, lecture, découverte scientifique ou technique qui nourrissent chacune de mes œuvres, comme un flux de pensée qui se matérialise et se transforme en passant de l’une à l’autre.
Dessinant d’abord au pastel, je me suis ensuite concentrée pendant plusieurs années sur la peinture à l’huile jusqu’au début des années 2000 où, d’espace à deux dimensions, la toile à peindre est devenue volume pour « donner du corps » à la peinture. L’utilisation de textiles imprimés s’est ensuite imposée comme un ready made coloré cousu à la surface de la peinture et jouant avec les motifs peints.
Décrivez-moi votre environnement de travail ?
Mon lieu de travail est aussi mon lieu de vie et le quotidien interfère aussi parfois dans mes œuvres.
Que pensez-vous de la place des femmes artistes dans le monde de l'art ?
Le fait d’être une femme a peut-être compliqué un peu les débuts de mon parcours car il n’y avait encore qu’un petit pourcentage de femmes artistes représentées dans les galeries d’art et certaines fois, une attention était portée au fait que l’on ait ou non des enfants, ce qui « aurait pu » gêner le bon déroulement d’une carrière, même si ce n’était pas exprimé clairement. Dans les faits, beaucoup de femmes artistes à l’époque n’avaient pas d’enfants, et c’est une « attention » qui ne s’imposait bien sûr pas dans le cas des artistes hommes. Fort heureusement les choses évoluent et changent, le nombre de femmes artistes a fortement augmenté et elles sont désormais bien plus présentes sur la scène artistique.