

Une performance acérée dans l’arène domestique
Dans Semiotics of the Kitchen, Rosler se place face caméra, dans un décor sobre de cuisine. Vêtue comme une parfaite ménagère des années 1950, elle égrène de A à Z les ustensiles de cuisine : Apron, Bowl, Chopper… – en anglais, chaque mot est énoncé d’un ton sec et accompagné d’un geste brusque, parfois violent, mimant la manière de les utiliser. L’ironie est glaçante : au lieu de transmettre une recette ou de rassurer, comme le faisaient les émissions culinaires d’époque, Rosler installe un climat d’agression contenue.
La cuisine devient ici un théâtre d’aliénation, un territoire de soumission genrée que l’artiste retourne comme un gant. Ce que Rosler met en scène, ce n’est pas un cours de cuisine, mais un cri silencieux : elle dénonce l’enfermement domestique imposé aux femmes et détourne les codes de la communication télévisuelle pour révéler l’absurdité des rôles sociaux attribués.
Art, politique et subversion
Issue d’une génération d’artistes politisés, formée à l’université de San Diego au cœur des mouvements contestataires des années 1970, Rosler est marquée par les débats philosophiques et artistiques de son époque. Elle croise la route d’intellectuels comme Jean-François Lyotard et d’artistes féministes comme Miriam Schapiro. Cette effervescence intellectuelle nourrit une œuvre qui mêle critique des médias, analyse des images de guerre (Bringing the War Home, 1967-72) et dénonciation des violences sexistes ou sociales.
Avec la vidéo, qu’elle adopte dès 1975, Martha Rosler trouve un médium accessible, direct, presque anti-élitiste. Elle l’utilise comme un outil de subversion, pour contrecarrer les discours dominants et ouvrir un espace de résistance symbolique. Semiotics of the Kitchen en est un exemple emblématique : derrière la froideur de la diction et la banalité des objets, c’est toute une critique du patriarcat domestique qui explose.
Une œuvre toujours d’actualité
Aujourd’hui encore, 50 ans après sa création, Semiotics of the Kitchen reste d’une actualité brûlante. À l’heure où les débats sur le genre, les rôles sociaux et la charge mentale agitent les sphères publiques, cette œuvre minimaliste conserve toute sa puissance critique. Elle témoigne aussi d’une époque où l’art se faisait tranchant, politique, sans concessions – et où une femme, caméra au poing, pouvait redéfinir les codes d’un médium pour mieux en découdre avec le réel.
En intégrant cette œuvre au sein de l’exposition Fiesta, lille3000 interroge subtilement ce que signifie « faire la fête ». Peut-on encore célébrer sans questionner ? Rosler nous rappelle que la joie, la danse et la couleur n’excluent pas la lucidité – et que parfois, la vraie subversion commence là où l’on s’y attend le moins : dans une cuisine, avec une louche à la main
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Bonjour je suis Aldjia créatrice et animatrice de ce podcast. Je suis également l'autrice de ce blog, ravie de vous rencontrer !